Maroc-Espagne:
500 ans de relations conflictuelles
Les relations hispano-marocaines traînent derrière elles plus de 500 ans de conflits et de crises intermittentes. Pourtant, du point de vue civilisationnel, l'Espagne et le Maroc appartiennent à la même région, ont un long passé historique commun, des affinités culturelles qui remontent loin dans l'histoire. Tout cet héritage commun devrait plutôt unir les deux pays au lieu de les séparer. En dépit de cette proximité géographique et culturelle, force est de constater que la vision d'une bonne partie de la population Espagnole a du Maroc parait schématique et agressive. Ceci s'explique en partie par le fait que peu d'espagnols semblent avoir une véritable connaissance de la société marocaine et peu de Marocains connaissent la véritable société espagnole. Les Espagnols ont une vision figée des Maures et les Marocains ne connaissent de l'Espagne que sa férocité coloniale qui subsiste à Sebta et Mlilya.
Pour bien comprendre ces relations, il faudrait remonter loin dans l'histoire après la chute de l'Andalousie musulmane en 1492. Depuis cette période, la stratégie de la Reconquista, instaurée par la Reine Isabelle la catholique, consistait à transporter l'affrontement avec les Musulmans sur la terre des Maures, le Maroc.
Les trois Rois et une défaite
Mais la plus importante et la plus célèbre des batailles anticoloniales de cette époque est certainement la bataille de Ouad Almakhazine, dite la bataille des trois rois qui s'est déroulée à Ksar El-Kébir au Nord du Maroc. En effet, dans leur croisade contre les infidèles, le roi du Portugal Sébastien Ier, allié au roi d'Espagne Philippe II, avec 17000 hommes et 600 navires, affrontent le Sultan du Maroc Abd al-Malik le 4 août 1578. Le Sultan du Maroc et le Roi du Portugal sont tués dans la bataille, les troupes portugaises sont anéanties (8 000 tués, 20 000 prisonniers). Le roi d'Espagne Philippe II prend possession du Portugal.et la ville de Sebta, occupée par le Portugal, passe aussi sous la domination espagnole.
A partir du 15 ème siècle, la présence espagnole et portugaise était limitée à des ports fortifiés pour prévenir toute nouvelle attaque et une longue série de conflits militaires vont opposer les dynasties marocaines à l'Espagne et au Portugal: siège de Sebta par le Sultan Moulay Ismaël de 1697 à 1720, siège de Mlilya par le Sultan Sidi Mohammed Ben Abdellah, siège de Sebta en 1780 pat Moulay Yazid...etc.
Avec l'expansion du colonialisme du 18 ème au 20 ème siècle et la concurrence européenne pour la répartition de l'Afrique, l'Espagne a reçu les restes d'un butin colonial réparti entre l'Angleterre, la France et l'Allemagne à partir de 1885.
Cependant, l'expansion de l'Espagne au Maroc va s'intensifier à partir de la perte par la monarchie espagnole de ses dernières possessions aux Amériques, l'île de Cuba et les Caraïbes, en 1898. C'est ce que certains auteurs qualifient de "colonialisme compensatoire" au Maroc.
Suite au traité d'Algeciras signé en 1912, qui délimite les colonies entre la France et l'Espagne, toute la région du Nord (le Rif), se retrouve, pour la première fois de son histoire, occupée par une puissance étrangère. Ainsi, l'Espagne s'installe en profondeur au Maroc, non seulement au Sud " Sahara occidental " mais aussi au Nord sans oublier les villes de Tarfaya, et d' Ifni. La France occupe le reste du Maroc ainsi que la région du Sud (la Mauritanie).
Echec militaire et culturel de l'aventure coloniale espagnole
Si les Portugais ont eu leur plus grande défaite militaire au Rif, près de trois siècles et demi plus tard, c'est au tour de l'armée espagnole de subir la plus grande défaite de son histoire coloniale par les combattants rifains. En effet, le 21 juillet 1921, le général Sylvestre, qui commandait les 60.000 hommes de l'armée espagnole, moderne et bien équipée, installée dans le Rif, a affronté les combattants rifains sous la conduite du Mohamed Abdelkrim Al Khattabi: un véritable désastre pour l'élite de l'armée espagnole et la défaite militaire la plus cuisante de son histoire: 20 000 soldats tués dans les rangs de l'armée espagnole.
Fort de sa victoire sur les troupes espagnoles, Abdelkrim a ouvert de nouveaux fronts dans la zone sous le contrôle des Français en infligeant aux troupes françaises des pertes douloureuses.
Les deux puissances coloniales ont dû former une coalition et aligner près de 500 000 hommes, 42 généraux (dont le général Pétain) et dix escadrilles aériennes pour venir à bout des combattants d'Abdelkrim El Khattabi.
Aviation, artillerie, tanks et automitrailleuses, tous les moyens furent utilisés pour anéantir la résistance rifaine. Mais les combattants d'Abdelkrim ne s'éprouvent pas vaincus, et les volontaires continuent d'affluer. Toutefois, les bombardements massifs surtout par l'aviation française ont affaibli la base arrière d'Abdelkrim. Les villages se sont écroulés l'un après l'autre et les pertes civiles ont été considérables. De l'aveu des observateurs, c'était un véritable massacre de civils commis par l'armée française et espagnole.
Entre 1921 et 1927, l'armée espagnole a utilisé systématiquement les armes chimiques contre la population civile du Rif (le taux de cancer dans cette région est le plus élevé du Maroc). L'Espagne a évacué le Rif en 1956, Tarfaya en 1958, Ifni en 1969, Sahara en 1975, mais elle garde toujours une dizaine de colonies.
L'échec de l'aventure coloniale espagnole au Nord du Maroc n'est pas uniquement militaire puisque l'Espagne n'a jamais réussi à établir son hégémonie coloniale à cause de la résistance des Rifains. Vu la férocité de sa répression, sa brutalité, son mépris des populations et l'absence de projet colonial cohérent, le colonialisme Espagnol est un échec total également sur le plan culturel contrairement au protectorat français.
L'enseignement de l'espagnol était boycotté par la population et l'usage de la langue espagnole demeure insignifiant comparé à la langue française. En dépit de sa proximité géographique et de sa longue présence au Maroc (depuis le 15 ème siècle), la culture espagnole n'a jamais réussi à s'implanter au Maroc en particulier et au Maghreb d'une manière générale. Les intellectuels espagnols devraient s'interroger sur le comment et le pourquoi de cet échec culturel. Pourquoi il n'y a qu'un seul titre au Maroc publié en espagnol alors qu'il en a plus de 183 titres publiés en français?
Le Rif face au Sultan
A partir de l'indépendance du Maroc en 1956, toute la région du Rif entre dans une phase de crise avec le pouvoir central à Rabat sous le règne du Sultan Mohamed V. En effet, depuis l'instauration de la République du Rif par Abdelkrim El Khattabi en 1923, la population de cette région est considérée comme étant hostile à la monarchie. La crise atteint son apogée en 1958 avec l'envoi par Rabat de près de 20 000 soldats à Al Hoceima (c'est la première opération militaire de la jeune force armée royale). La répression fut très dure, l'aviation de Rabat (avec des pilotes et des conseillers militaires Français) a poursuivi l'ouvre du colonialisme espagnol en bombardant la région au napalm. Le nombre de victimes est considérable : plus de 8000 morts et des dizaines de milliers de blessés en majorité des civils.
A partir de ces événements tragiques, le Rif entre dans une longue phase de marginalisation de mépris et d'oubli et c'est au tour du roi Hassan2 de réprimer les révoltes des rifains qu'il a qualifie de " bande d'apaches à exterminer". L'élite rifaine a été contrainte à l'exil et la population a immigré massivement vers d'autres cieux plus cléments.
Cette politique a provoqué un retard considérable du développement économique et social de la région. L'infrastructure est inexistante et les investissements publics ou privés sont insignifiants. La culture du Kif, le commerce de contrebande à partir de Sebta et de Mlilya, et l'immigration vers l'Europe, demeurent les seules perspectives pour la population de cette région.
En 1975, le Maroc récupère le Sahara occidental sans inclure les colonies au Rif dans ses négociations avec Madrid. Ce qui montre que, pendant le règne de Hassan2, la présence coloniale espagnole dans le Rif n'a jamais constitué une priorité de Rabat.
Avec le nouveau Roi Mohamed VI, on assiste à une timide ouverture de Rabat à l'égard de cette région mais il faudrait des investissements considérables pour rattraper le retard. L'Espagne a exploité cette situation pour consolider et étendre ses colonies dans la région.
sebtamlilya.net
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